Les Morins : histoire et monnayage. Texte avec illustrations publié dans Les Cahiers du Patrimoine Boulonnais, n° 62, 2010.

Nous nous proposons d’étudier l’évolution du monnayage des Morins suivant les avancées de la conquête romaine au premier siècle avant J –C.

Des échanges ont toujours existé entre la Grande-Bretagne et le continent. Les influences irlandaises et britanniques sont bien attestées dès l’âge du bronze ancien, à partir de 1800        av. J.-C. Aux périodes suivantes, le Boulonnais appartient à la zone atlantique, zone d’échanges qui englobait la Grande-Bretagne mais aussi le Benelux, la Normandie, la Bretagne… L’étain provenait essentiellement d’Angleterre. Après la traversée, les bateaux, avec une escale possible à Boulogne, rejoignaient la rivière Somme et le trajet se poursuivait par voies fluviales et terrestres jusqu’en Italie du nord.

Des objets de bronze ont été trouvés principalement sur la rive gauche de la Liane car la presqu’île escarpée d’Outreau était un site défensif de premier ordre. A ses pieds, l’estuaire de la Liane offrait un havre abrité et spacieux aux bateaux de passage. Rien d’étonnant si l’endroit a été peuplé continuellement, bien avant l’âge du bronze, et apparaît comme une zone de transit et de distribution pendant plus d’un millénaire.

Par la suite, les habitants de la région sont appelés Morins, c’est- à- dire « les gens de la mer ». Ils se chargeaient toujours de l’acheminement des matières premières et des voyageurs, Wissant, Boulogne et Etaples étant les principaux ports. Au cours du premier siècle av. J.-C., les Morins utilisaient les monnaies de la vallée de la Somme, quarts de statère bifaces (Photo 1 ) et statères ( Photo 2 ).

En 58, l’arrivée de César en Gaule modifie profondément la situation et les Ambiens émettent alors des statères unifaces (Photo 3).  En 57, les Morins font partie de la coalition belge avec 25 000 hommes, contingent plus important que celui de leurs voisins Ménapes, Bellovaques et Ambiens ; mais après la bataille de l’Aisne, les Suessiones, les Bellovaques et les Ambiens se soumettent (César, Guerre des Gaules, II, 12-15). Les Nerviens feront de même après la bataille de la Sambre (César, II, 28). Les Morins n’abandonnent pas le combat et seront seuls avec les Ménapes à appuyer le soulèvement des Vénétes en 56 : « Les peuples d’Armorique vaincus, il  n’y avait plus dans toute la Gaule pacifiée que les Morins et les Ménapes qui fussent en armes et ne lui eussent jamais envoyé demander la paix… » (César, III, 28).

Pour marquer leur opposition aux Ambiens et à leurs alliés, les Morins se mettent également à frapper des statères unifaces mais au « type de Lumbres » (Photo 4). Au revers avec un cheval désarticulé à droite, les globules et « bras » au-dessus représentant l’aurige ainsi que le globule sous le ventre du cheval sont conservés ; seule petite différence, le globule à l’extrémité du bras gauche du conducteur est cerclé. Extérieurement l’aspect général est pratiquement identique mais le cheval morin est plus massif ; en quelque sorte, chez les Ambiens c’est un pur-sang et pour les Morins un boulonnais…  La différence importante réside dans le flan.

La recette d’obtention est simple : faire fondre six statères ambiens ; y ajouter 12% d’argent et 6% de cuivre ; bien mélanger et couler sept flans et un petit lingot qui permettront la frappe de sept statères morins et d’un quart de statère. Car non seulement l’alliage est plus vil mais le poids du flan est inférieur de près de 0,20g aux précédents… Le bénéfice est donc substantiel. Résultat : ces statères bénéficient de la confiance accordée aux monnaies ambiennes et sont acceptés sans problème. A l’inverse, les statères ambiens disparaissent de la circulation car ils sont thésaurisés ou transformés en bijoux. L’imitation est bien un acte d’opposition.

En 55, « César part avec toutes ses troupes pour le pays des Morins car c’est de là que le passage en Bretagne est  le plus court » (IV,21). Il y «  arme sa flotte » pour l’expédition de Bretagne pendant laquelle « le légat Publius Sulpicius Rufus, avec la garnison qui fut jugée convenable, fut préposé à la garde du port » (IV, 22). Au retour des vaisseaux isolés de l’expédition romaine sont attaqués. César charge alors son légat Titus Labiénus de pacifier la région. « Les marais étant à sec, les Morins ne pouvaient s’y réfugier comme ils l’avaient fait l’année précédente ; ils tombèrent presque tous entre les mains de Labiénus » (IV, 38). En 54, une légion « passe l’hiver chez les Morins sous le commandement de Caius Fabius » (V, 24).

Néanmoins, quand les Ambiens émettent de nouveaux statères unifaces avec deux S sous le cheval  les Morins en frapperont avec un seul  S ( Photo 5). Remarquons que les ajouts supplémentaires d’argent et de cuivre rendent l’alliage des flans plus cassant si bien que le bord des monnaies se fend lors de la frappe.

La guerre des Gaules se termine en 50 av. J.-C. Le comportement de Rome vis-à-vis des vaincus est toujours le même : confiscation des numéraires de métal précieux et des réserves, pillage des sanctuaires et des offrandes, tribut annuel…La Morinie qui s’étendait de l’Aa à la Canche se fractionne en trois et le pagus de Boulogne qui correspond au Boulonnais est désormais autonome ( voir la carte).

Ce qui n’empêchera pas l’apparition de quelques quarts de statère émis probablement dans la région et portant au droit un globule ( Photo 6) ou trois globules (Photo 7), un arbre avec « faucille » dessous et ornements divers au revers.

Les monnaies de bronze sont plus nombreuses, la plupart étant des piécettes fines, aux reliefs amoindris par l’action conjointe des travaux agricoles et des engrais. Celles de poids corrects et bien conservées sont peu courantes. La piécette de la photo 8 pèse 1,56g pour un diamètre de 16mm. A l’avers, personnage assis en tailleur, les bras levés en position d’orant ; globules autour. Au revers un cheval à gauche, le museau horizontal, avec deux « cornes » pointées vers l’avant et la langue pendante, un bucrane au-dessus, un gros globule cerclé dessous, d’autres petits dans le champ.

Sur un autre bronze ( Photo 9) on voit à l’avers un canard à gauche entouré d’une ligne perlée, face à face avec un caneton surmontant un globule perlé. Au revers un cavalier à droite galope sur une ligne de sol. ( 2,26g 14mm). La Photo 10 qui suit est de lecture difficile pour l’avers : un sanglier à droite est surmonté de fougères ; des globules cerclés ou non sont dans le champ. Ce droit mérite un examen plus attentif ; la partie inférieure des tiges de fougères a été incurvée pour former un nez, la partie haute évoquant une coiffure avec raie médiane ; deux petits globules de chaque côté figurent les yeux. La description du bronze d’Ambleny par Simone Scheers pourrait convenir : « tête humaine très stylisée » de face, « un sanglier occupe l’emplacement de la bouche ». Ici la tête apparaît comme une représentation symbolique de la forêt. Le revers montre un cheval au galop à gauche, « cornes «    dressées et langue pendante enroulée à son extrémité ; un bucrane au-dessus de l’animal ( 1,98g 15mm).

La Photo 11 nous permet d’observer au droit deux protomés de chevaux adossés, à tête d’oiseau et crinière perlée ; un X partiellement barré au-dessus, un S dessous ; des globules cerclés parsèment le champ. Au revers, c’est un cheval au galop à gauche, cornes dressées et gueule largement ouverte ; un oiseau-conducteur est perché sur la crinière et derrière lui on distingue une roue crantée avec moyeu et rayons ; des globules cerclés dans le champ ( 2,20g 16mm).

Plusieurs exemplaires de ce bronze ont été trouvés lors des fouilles du Tetelbierg au Luxembourg et L. Reding ajoutait à leur sujet : « ces monnaies m’ont émerveillé par la beauté du dessin et la pureté des lignes…Vraiment le graveur de cette monnaie était un grand artiste ! » Il aurait probablement eu la même réaction devant la précédente.

En définitive, l’esprit d’indépendance et le caractère combatif des Morins les ont conduits à figurer parm i les derniers opposants à Rome et à frapper monnaie. Seuls les bronzes permettent d’apprécier la facture parfois fantaisiste mais toujours originale et caractéristique de certaines monnaies émises dans le pagus de Boulogne tout en révélant la liberté d’expression et le non-conformisme de ses habitants.

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